Conversation avec Laurence Tubiana, Présidente de la Fondation Européenne pour le Climat: Ouvrir la voie à un futur zéro émission (article publié en Octobr
Une conversation entre Laurence Tubiana, Présidente de la Fondation Européenne pour le Climat, et Emmanuel Rivière, Directeur International, Polling and Political Advisory, Kantar Public.
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Fondée en 2008 en tant qu'initiative philanthropique, la Fondation Européenne pour le Climat (EFC) a pour objectif de développer des solutions, d’accroître l'engagement politique et de sensibiliser le public à la crise climatique mondiale.
La ECF est constituée d'un réseau de plus de 500 organisations qui travaillent en synergie pour définir et encourager les politiques publiques nécessaires au niveau européen pour atteindre une société sans émissions de gaz à effet de serre.
La Présidente et Directrice Exécutive de la EFC, Laurence Tubiana, est une économiste et diplomate française. Elle fut Ambassadrice du changement climatique et Représentante spéciale de la France pour la COP21, et à ce titre, l'un des principaux architectes de l'Accord de Paris .
Dans cette conversation avec Emmanuel Rivière , Laurence Tubiana partage sa vision sur la demande croissante des citoyens européens en matière d'action climatique, et sur leur rôle essentiel dans le processus de transformation de notre société vers une planète vivable pour les générations futures.
Emmanuel: La question n’est plus aujourd’hui de convaincre les citoyens de l’urgence du défi climatique, dans beaucoup de pays le climato-scepticisme est une attitude minoritaire. Cependant les citoyens ne tirent pas encore toutes les conséquences de ces enjeux.
Comment les engager à faire davantage et à accepter les changements que ce défi implique?
Laurence: Il existe un décalage fondamental entre l'ampleur de la crise climatique et le champ d'action individuel. C'est un fait.
Pendant longtemps, l'idée reçue était que ce constat serait délétère à l'action et à la mobilisation.
Et pourtant, élection après élection, et celles en Allemagne l'ont encore une fois démontré, on voit aussi une soif croissante pour l'action climatique qui s'exprime aux urnes et qui pourrait être encore plus canalisée dans les processus démocratiques.
Il faut rapprocher nos démocraties des citoyens, et ne pas toujours s'attendre à l'inverse.
La convention citoyenne sur le climat a parfaitement démontré le potentiel de la démocratie délibérative, encore faudrait-il que le gouvernement l'ait pleinement acceptée.
De nombreux faits convergent et conduisent au même constat, que ce soit l'Affaire du siècle en France, le récent Eurobaromètre sur le changement climatique et les sondages de More in Common qui montrent une forte prise de conscience pour le climat qui dépasse les clivages politiques.
La trajectoire est claire : ce sont les citoyens qui mettront les États face à leurs responsabilités.
Emmanuel: Parallèlement, les opinions publiques ont tendance à considérer que les autorités de leur pays n’en font pas assez pour lutter contre le changement climatique. Cette attente des citoyens est-elle un levier pour faire agir les gouvernements?
Tout à fait, et comme je l'ai dit cela se manifeste à la fois aux urnes, dans la judiciarisation croissante des questions climatiques, et de manière plus générale, dans le fait que les gouvernements ne sont que rarement en avance sur leur société.
Par ailleurs, l'opinion publique fait avancer multitude d'acteurs à différentes échelles : les autorités locales, les entreprises et la société civile. Il y a là des leviers essentiels pour faire société ensemble à tous les niveaux.
Lors des négociations qui ont abouties sur l'Accord de Paris, c'est une dynamique sur laquelle nous avons misé car elle peut puissamment faire bouger les lignes et ce à l'échelle mondiale. Les villes, les régions, les ONG, les entreprises, les investisseurs... tous ont joué un rôle an amont de l'Accord de Paris.
Cela a non seulement créé un engouement, mais s'est également traduit par des engagements non-étatiques pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et commencer à imaginer l'action dont nous avons besoin.
L’Accord de Paris était un cadre pour les États avant tout et il est devenu une référence internationale grâce entre autres à cette mobilisation des acteurs non étatiques.
Emmanuel: L’émergence de l’épidémie de Covid19 a eu pour conséquence immédiate de reléguer la question climatique au second rang dans la hiérarchie des préoccupations. Pensez-vous qu’avec le recul l’épidémie nous aura laissé des leçons utiles pour la lutte contre le changement climatique?
Une chose est sûre, l'épidémie a bien démontré que le manque de coordination entre États a été un énorme facteur de turbulence au-delà de la Covid19 à elle seule.
Et certes, l'épidémie et le besoin d'une relance économique d'urgence a marginalisé le débat économique dont nous avons vraiment besoin, celui de la transformation écologique qui entrainera d'énormes besoins d'investissement public afin de réussir la décarbonation à l'échelle mondiale. Voilà pour les obstacles.
En ce qui concerne les leçons utiles, j'ai espoir que cette crise nous a au moins permis de commencer à dépasser le faux débat sur les finances publiques, entre "frugaux" et "dépensiers" qui clive l'opinion mais qui ne répond pas à l'urgence climatique sur le fond.
En effet, quel est le sens même de la dette et de la croissance quand nous nous devons avant tout de préserver la planète, la biodiversité, la stabilité de nos sociétés pour les générations futures?
Les plans de relance européens et américains ont été un signal fort, il faut continuer d'encourager le débat sur les finances dans ce sens. L'engouement croissant pour des pactes verts d'investissement le sont aussi. La pandémie n'a été qu'un premier chapitre dans les turbulences qui nous attendent. Il faut répondre présent.
Emmanuel: La réponse au défi climatique peut-elle aussi être une opportunité de réenchanter le futur, de redonner foi dans l’avenir de nos sociétés souvent dominées par des inquiétudes de toutes sortes?
Absolument. Il faut se donner l'énergie d'engager et de maintenir cette grande transition qui nous attend. Encore une fois, l'opinion publique réclame de l'action devant l'urgence climatique.
Le constat est simple: la transformation de l’économie vers une décarbonisation complète est quelque chose qui n’a jamais été fait et c’est un impératif. Un défi social et démocratique qui peut répondre à une soif citoyenne de nouvelles manières de faire de la politique.
La convention citoyenne pour le climat a également été une merveilleuse illustration du fait que l'on peut imaginer des politiques publiques qui fasse consensus au sein de citoyens aux réalités divers et ce même à un haut niveau de complexité.
Les sociétés veulent de l'ambition, en dépit des faux clivages qui tentent de les manipuler en permanence et leurs citoyens n'ont pas peur de la complexité.
Il faudra des deux pour engendrer cette énergie positive qui nous rappelle Saint-Exupéry: "Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose... Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer."
Emmanuel: Les enquêtes Eurobaromètre mettent clairement la lutte contre le changement climatique à l’agenda européen, et montre un fort soutien pour le renforcement de la coopération européenne dans ce domaine. A quelle conditions le Green Deal européen pourra-t-il parvenir à répondre à ce défi?
La présidence française de l’Union européenne pour les six premiers mois de 2022 sera essentielle à la bonne avancée du Green Deal. Le gouvernement sera amené à porter auprès des autres Etats membres les réformes dites "Fit for 55" destinées à réduire les émissions européennes de 55% d'ici à 2030, afin d'arriver à la neutralité carbone d'ici 2050.
Ce ne sera pas simple, ni "à domicile" ni dans le reste de l'UE, et le tout dans un délicat contexte électoral.
Ces réformes européennes présentent autant d’enjeux sociaux, notamment en matière des prix du gaz, de l’électricité et de l’essence qui sont déjà source de grande angoisse et ne seront pas sans rappeler les contrecoups à l'encontre de la taxe carbone en France en 2018.
Pas simple, donc, mais c'est également l'occasion de revoir le contrat social européen, le tout alors que la confiance dans les institutions et la politique décroît partout en Europe. Il faudra faire ces réformes avec les citoyens - espérer faire l'inverse est un projet voué à l'échec.
Mais le réussir, ce serait réussir le nouveau grand défi existentiel, à la fois pour l'Europe et la planète.
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